Prendre le transport en commun en Haïti est une pénitence. Les gens entassés comme des sardines, certains pendus à l’arrière du véhicule, face aux multiples dangers d’un croisement inattendu ou d’une folle manœuvre du chauffeur. Si vous êtes claustrophobes, ou encore si vous aimez les endroits calmes et paisibles, mieux vaut prendre la route à pied, car l’autobus ou le Tap Tap n’est pas le meilleur choix. Ici, on parle de tout. Ici on parle beaucoup. Il est bruit que certains responsables de partis politiques louent des Tap Tap à longueur de journée pour certaines rencontres secrètes. Les capots des voitures n’ont pas d’oreilles. Ici aussi on se bat pour une petite place, sur un banc poussiéreux, fatigué de recueillir tant de fesses en une seule journée. « Pa kole sou mwen . Ou fout tou lèd pase pitit Desalin », me lança une dame hier soir alors que je m’agrippais suicidaire, à l’arrière d’une camionnette, parmi deux autres hommes. J’ai réalisé en l’espace de quelques secondes que je m’appuyais malencontreusement sur elle. Je cherchais à peine des mots d’excuses quand j’entendis quelqu’un de l’intérieur répliquer. « Si w pa vle moun kole ake w achte veyikil ou madanm » Une grande dispute se déclencha subitement entre la dame et la voix qui prit ma défense, ce dernier eut le support d’autres passagers qui indirectement me soutient car, franchement, je ne pouvais que me taire, car je ne pouvais utiliser mes forces à d’autres choses que tenir d’une main l’arrière de la camionnette. Un des passagers s’énervait que la dame m’ait traité d’homme laid. « Peut-être parce qu’il est noir », déclara-t-il. « Il semblerait qu’on ne vit pas en Haïti ici. On dirait qu’être noir est une malédiction », s’indigna le passager, « t’es même pas de couleur blanche en plus », ce qui plu à d’autres passagers du Tap Tap. « En plus, dit l’homme irrité, pourquoi comparer sa laideur aux descendants de Dessalines ? N’est ce pas le père de la patrie. Je me demande bien ce qui vous prend, vous haïtiens, vous prenez le nom de Dessalines pour un juron, un propos grossier, et en plus, vous prétendez être son fils pour avoir le droit d’ attaquer vos frères que vous appelez les fils d’un autre ancêtre, Pétion . En plus vous utilisez des crèmes éclaircissants. Quel comble, quelle fausse appartenance… » La dame ne dit mot. On dirait qu’elle s’est sentie brutalement mal à l’aise. Un silence s’abattît dans le Tap Tap. « Vous devriez avoir honte de vous madame. Et merci Chauffeur »», conclu l’homme qui descendit de la camionnette en furie.
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AuteursJethro Joseph SEREME Archives
March 2018
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