« Je ne crois plus en mon Président »
C’est ce que me lance le chauffeur de moto en prenant un corridor étroit, en terre battue, entre deux maisons. On dirait que les propriétaires des maisons se battent pour avoir l’allée, mais hésitent encore car c’est une ruelle très passante. Je me demande comment les gens arrivent à circuler tant il fait noir, il est à peine 2h PM. Les gens construisent n’importe comment dans la capitale. Je repasse en mémoire ces constructions anarchiques un peu partout, sans le moindre geste des autorités pour dire NON. Existe-t-il encore des autorités capable de prendre la moindre décision dans ce pays ? « Je ne crois plus en lui », dit-il à nouveau, voulant attirer mon attention sur ses commentaires sur le chef de l’État. Moi qui n’aime pas trop parler politique, je me vois lui demander beaucoup plus d’explication sur ce qu’il avance. Faut quand même montrer à l’autre qu’on s’intéresse à lui, c’est de la sagesse. Surtout mon interlocuteur me conduit chez moi. En plus, il tient les guidons de la motocyclette. Je ne suis qu’un pauvre voyageur qui a eu l’amabilité de le payer pour m’y conduire. « Qu’est-ce qu’il a le Président ? », lui demandai-je. - Il y a quelques semaines, le président a déclaré que les caisses de l’État étaient vides. - Elles le sont, je lui répondis. Si le président le dit, c’est parce que c’est vrai. - Mais non, rassure-t-il. Peut importe qui tu es, même si tu travailles pour lui, je ne vais pas te croire. Je ne crois personne dans ce gouvernement, renforça-t-il. Moi je ne crois qu’en ma moto, c’est grâce à elle que je peux prendre les soins de ma famille. Je ne crois ni les magistrats, ni les députés, ni les sénateurs. Ils font tous de l’argent. Je crois en mes clients. Ce qui me rassura un peu. L’idée que tout le peuple pense comme ce type me rend un peu perplexe. Les gens sont-ils aussi hostiles à l’égard de nos autorités. Le chauffeur arrêta subitement la moto et se tourna vers moi. - Tu te rends compte que le Président déclare qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses de l’État, rajouta-t-il. Mais c’est pas vrai. De l’argent, il y en a. Je ne le crois pas moi. Tout comme je ne crois plus le Premier ministre. Écoute - moi mon ami, je ne te connais pas, mais je peux faire cette analyse avec toi. Tu es mon boss, c’est toi qui me paie aujourd’hui. Moi je suis la radio tous les jours moi. En janvier dernier, le Premier ministre a promis de fournir le courant électrique 24 heures sur 24 dans le pays d’ici juillet 2013. On est en mai 2014 aujourd’hui. Il n’y a rien. Plus rien. On n’est pas fou nous les chauffeurs de moto. - Je vois de quoi tu parles, mais c’est difficile l’électricité en Haïti avec tous ces gens qui prennent les « prises » dis-je pour le convaincre. - Mais attend. Au début de l’année 2014, le Premier ministre avait aussi annoncé que les ministères n’auront pas de 4X4 de luxe, ceci dans le but d’aider les personnes les plus pauvres, tel que moi. Jusqu'à présent rien. Où est passé ce plan pour lutter contre la pauvreté extrême. Je me suis dit que le chauffeur avait raison cette fois. Bien qu’il ne connait peut-être pas les raisons de ce problème d’électricité en Haïti depuis des années, mais pour le plan de la lutte contre la pauvreté, on aurait du commencer à voir la différence, surtout avec la promesse du premier ministre de doter les ministères de 4X4 moins luxueux. La Ministre Marie Rose Anne Auguste avait même montrer que c’était indécent qu’un ministre roule une voiture de 100 000 dollars américain dans un pays pauvre. Ceci me rappelle les déclaration de l’utilisation des Daihatsu Terios. - En plus de tout cela, ajouta mon chauffeur de moto, tu te souviens de ce type là, qui avait construit le bus, comment s’appelle-t-il encore, articule-t-il, la tête vers le ciel, pour se remémorer du nom du constructeur. Je vois bien de qui il parle, mais moi non plus je n’arrive pas à me souvenir de son nom. Tant qu’il est passé inaperçu depuis ce temps. Je ne me souviens pas l’avoir trop vu dans les médias malgré son exploit. Ici on ne donne pas de valeur à la probité intellectuelle tant qu’on se bat pour le pain quotidien. Je me demande comment un jeune haïtien arrive à s’armer de patience pour réaliser une œuvre aussi remarquable. - Je m’en fous de son nom, lance-t-il. Mais, le ministre des finances de l’époque avait déclaré que l’État haïtien lui donnerait assistance et encadrement. Un petit parc industriel, comme le journaliste l’avait mentionné, pour le développer le secteur. Jusqu’à aujourd’hui, wayan ! Le chauffeur de moto démarra à nouveau la moto si vite que j’ai failli tomber. On dirait qu’il a vraiment une dent contre quelqu’un. Pas moi en tout cas.
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AuteursJethro Joseph SEREME Archives
March 2018
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